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Vers l’âge de vingt ans, j’ai laissé la maison de mon enfance pour huit ans, sans revenir. Ma famille, mon milieu, le fleuve, mes amis, tout mon environnement. J’ai été proprement déraciné. À ce point, qu’après ces huit ans, je sentais le besoin de redescendre de Montréal à chez nous au moins une fois par mois, pour une journée. J’arrivais le soir tard et, quand je me présentais à mon quatrième rang les soirs de pleine lune, je prenais le plaisir d’éteindre mes phares d’automobile et pour arriver chez nous, je me contentais de la pleine lune.

Nous ne connaissons plus la nuit noire. Noire. Certains soirs, nous entrions à la maison en voiture avec le cheval et nous ne voyions absolument rien. Avant les années cinquante, il n’y avait pas d’électricité dans les campagnes et les petites lampes à l’huile dans les maisons n’avaient pas l’énergie pour mettre le nez dehors. Pas de lune, pas d’étoiles. Il faisait noir. Et le cheval allait bon train. Mon père le laissait aller et le cheval nous conduisait à la maison et s’arrêtait tout seul en avant de la porte.

Dans la maison, une petite lampe à l’huile avec un réverbère qui éclairait juste un peu plus qu’une chandelle. Souvent le seul éclairage de la maison. Pour faire les devoirs, pour préparer la cuisine, pour jouer aux cartes, pour les besoins de la maison. Pour travailler dans l’étable, un fanal à l’huile de charbon dont le globe était souvent sale et qui éclairait encore plus mal. Pour les soins du bébé la nuit, (car il y en avait toujours un), une veilleuse pour garder le lait à la bonne température et autres besoins. Peu de monde se souvient de cette époque mais l’arrivée de la lampe Aladdin, puis du fanal à gaz, puis de l’éclairage à l’électricité, ont été quelques années d’évolution rapide mais très lourdes d’impact sur notre vie courante. Peu de personnes se souviennent de la lampe à réverbère, peu de personnes se souviennent de la nuit noire.

Car l’éclairage électrique nous a envahi. Le reflet de l ’éclairage électrique est maintenant présent presque partout dans le ciel. Il y a longtemps, je suis monté de Montréal à Ottawa avec une jeune fille de douze ans qui voulait visiter une de ses amies mais qui n’était jamais sortie de la rue Drolet. En revenant le soir, elle fixait intensément le ciel à travers la vitre avant de l’auto. « C’est quoi les points clairs dans le ciel », qu’elle demande. Je lui réponds: des étoiles. En revenant en ville, elle était inquiète parce que les étoiles étaient parties.

J’ai voyagé souvent le soir avec mon père. J’en garde des souvenirs impérissables.

Les aurores boréales d’abord. Très fréquentes les soirs de beau temps. Elles emplissaient le côté nord du ciel. De lumière et de mouvement. Une féerie envahissante et envoutante. Au cours des derniers 40 ans, je crois n’en avoir revu qu’une fois. C’était à un endroit très sombre et dépourvu de lumières environnantes.

Les grenouilles au printemps. Surtout quand nous voyagions en « rubber tire», la voiture avec des pneus en caoutchouc, nous roulions dans un bon silence. Soudain, vers la mi-mai, dans un environnement humide, le chant des grenouilles nous envahissait. Mon père me disait : « Écoute les grenouilles. Qu’est-ce qu’elles chantent? Elles chantent : appareille, appareille. Elles nous conseillaient d’appareiller pour nos semences ». Un peu plus tard, vers le début juin nous repassons au même endroit et les grenouilles chantaient encore. Elles chantaient; « Sème, sème, sème », disait mon père. « Elles nous disent que la terre est prête à semer ». C’était bien le temps de semer. Aujourd’hui, je ne sais plus ce qu’elles me conseilleraient.

Le printemps, parfois la neige fondait et la nuit elle gelait. Par nuit de pleine lune, c’était le moment idéal pour faire du « traîneau sur la croute ». Les glissades de l’année. Nous partions sur la côte au nord pour descendre presque jusqu’au lac. En passant entre la grange et la soue. La pleine lune nous permettait d’éviter les clôtures, les « digues » de roches, les autres traîneaux qui filaient à toute vitesse.

Au début des années 60, pendant les huit ans que j’ai été parti de la maison et que j’ai habité dans un couvent, je demeurais dans le haut d’une tour et il y avait une plateforme sur laquelle personne ne circulait, surtout la nuit. Ma fenêtre donnait sur cette plateforme et par beau temps chaud, je dormais sur ce lit improvisé. J’ai été témoin de deux spectacles impressionnants.

1-Il y avait une quantité impressionnante d’engoulevents qui montaient et descendaient dans le ciel en cueillant leurs insectes et en lançant à chaque descente leur cri caractéristique. Je n’ai presque plus entendu le cri des engoulevents depuis des années.

2-J’ai sans doute assisté aux plus belles nuits sans lune de ma vie, à regarder le ciel dans toute sa beauté. Assez pour m’intéresser sérieusement à l’astronomie et fréquenter au moins les livres de base en cette matière. Par la suite, j’ai fait du camping à la belle étoile pendant plusieurs années avec des jeunes adolescents. J’ai ressorti avec eux l’histoire du ciel, des constellations, des planètes, j’en passe. Mes gars s’endormaient là-dessus, mais je suis sur qu’ils s’en souviennent. Moi aussi..

Avec toute cette lumière qui nous envahit, parfois, je m’ennuie de la nuit noire.
Gaston Michaud
Mon étincelle : La coopération est un antidote au vieillissement.

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